Comment penser aux photographies de Lartigue sans penser à celle-ci ? Impossible. «L’auto déformée» comme certains l’appellent familièrement, est le signe que cette image est devenue presque comme un «logo» de Lartigue. Elle condense, en effet, plusieurs des qualités inhérentes à la photographie de Lartigue : le mouvement, le dynamisme, la modernité et la beauté.
Très tôt, Jacques, initié par son père et son frère aîné Zissou, s’intéresse aux courses automobiles. En 1905, toute la famille se déplace en Auvergne pour assister à sa première course, la Coupe Gordon-Bennett. Dès lors, Jacques s’exerce à photographier les voitures en mouvement et dessine de nombreux modèles ou des photographies qu’il a prises dans la journée. Petit à petit, son œil s’aguerrit et avec l’évolution constante de la technique photographique, il obtient des images d’un réalisme surprenant pour l’époque.
En 1912, au Tréport, il écrit dans son journal comment il effectue ses prises de vue : «La première automobile arrive là-bas ! Il y a d’abord une courbe, puis c’est la ligne droite…elle passe devant nous à toute vitesse, c’est formidable ! La seconde arrive. C’est Boillot sur Peugeot. Je la photographie en vitesse (180 à l’heure) en pivotant un peu sur moi-même pour la conserver dans mon viseur, pendant qu’elle passe. C’est la première fois que je fais ça ! Moi, je fais des photographies. Yves (le chauffeur) pointe sur la liste. Madame Folletête dit l’heure et Monsieur Folletête (son précepteur) annonce le numéro. Si bien que nous suivons la course dans tous ses détails.»
Pierre Darmendrail, dans Lartigue et les autos de course explique la spécificité de l’image : «Non seulement Lartigue a utilisé pour sa photo une technique novatrice, mais il l’a également poussée à l’extrême en allant se placer tout au bord de la route, à très courte distance de la voiture qui passait parallèlement à lui à 140km/h ou davantage. Il est ainsi allé chercher la sensation de vitesse jusque dans son cœur même, se coulant dans le mouvement ultra-rapide de son sujet, d’où le dynamisme et la puissance de cette photo.»
Une question demeure : celle de la légende. Lartigue a collé l’image dans l’album 1912 en la titrant : Automobile Delage, Grand Prix de l’Automobile-Club de France, Le Tréport, 26 juin 1912. Or, d’après David E. Junker, il semble que le véhicule soit une Théophile Schneider qui concourait au Grand Prix de l’ACF 1913. Lartigue s’est-il trompé? Etait-ce intentionnel? Aucune trace dans les écrits de Lartigue ne permet de lever le voile sur ce mystère.
Pour en savoir plus :
Un article scientifique sur la vitesse à laquelle roulait la voiture